On trouve une dimension hypertextuelle dans l’œuvre de deux auteurs majeurs de la littérature italienne, Giacomo Leopardi (1798-1837) et Italo Calvino (1923-1985), et cette dimension constitue même l’un des principaux traits communs de leur écriture. Si leur écriture est influencée par un rapport constant à la lecture, la relecture, la réécriture, voire à la compilation des textes d’autrui, des connexions fortes s’établissent aussi à l’intérieur de leur propre œuvre : les textes de Calvino et ceux de Leopardi, tous ensemble, construisent quelque chose. Ils s’agencent, ou mieux certains de leurs points, de leurs lignes, de leurs mouvements, s’agencent, se répondent d’un livre à l’autre, se répètent, se développent mutuellement. Mais, attention, le réseau ainsi formé ne résulte pas de correspondances parfaites, ne s’enferme pas en des règles qui régiraient sa structure. C’est un réseau mouvant, aux réponses inattendues ; imprévisible dans ses moments de contradiction comme à ses heures de cohérence cristalline. Plus qu’à un ordre fermé, rigide, il ressemble à une formation végétale, en croissance, enchevêtrée et discontinue, un rhizome, pour reprendre le concept qui correspond parfaitement – tel que le décrivent Deleuze et Guattari dans Mille plateaux (1980) – à la forme d’écriture que mettent en acte Leopardi et Calvino. Employé pour la première fois en 1975 dans l’ouvrage de Deleuze Kafka. Pour une littérature mineure, le concept de rhizome a souvent été rapproché de celui d’hypertexte, tant dans l’acception littéraire de ce dernier, fondée par Genette, que dans son acception informatique. Nous verrons comment les principes de ce concept deleuzien – connexion ; hétérogénéité ; multiplicité ; rupture asignifiante ; cartographie et décalcomanie – correspondent à l’écriture léopardienne comme à l’écriture calvinienne, au point que l’on peut considérer qu’ils ont construit, chacun, une œuvre-rhizome.