Enjeu central du bien-vieillir, la prise en charge du trouble dépressif associé à des ruminations chez les seniors se heurte à deux difficultés. D'une part, la symptomatologie dépressive du sujet âgé vient majorer la baisse sénescente de ses capacités cognitives (Fiske et al., 2009). Ce pattern marqué par des dysfonctionnements exécutifs et une perte de flexibilité cognitive favorise l'apparition de ruminations tout en limitant le contrôle du sujet sur ce mode de pensée (Davis et Nolen-Hoeksema, 2000). D'autre part, la dépression entraîne l'apparition de biais de congruence à l'humeur et de surgénéralisation de la pensée, qui, associés aux difficultés mnésiques majorées par le trouble, rendent plus ardue la récupération de souvenirs positifs (Joorman et al., 2007). Or, c'est cette stratégie de réminiscence positive qui permet aux sujets sains de réguler leur humeur face aux affects négatifs (Josephson et al., 1996). Cette recherche consiste à valider la pertinence d'un protocole thérapeutique novateur basé sur l'adaptation de la stratégie de régulation de l'humeur des sujets sains aux femmes âgées atteintes de dépression. Cette adaptation est rendue possible par la substitution des souvenirs définissant le soi (Blagov et Singer, 2004) aux souvenirs classiques, et leur consignation sous la forme d'un carnet. Ces souvenirs sont spécifiques par leur rôle fondateur dans l'identité du sujet et leur double ancrage épisodique et sémantique. L'échantillon, composé de 14 femmes dépressives de plus de 65 ans (x̄=78,57) sans troubles cognitifs pathologiques et présentant des réponses ruminatives, a été réparti en deux groupes selon la sévérité du trouble dépressif (modéré ou sévère). Après un première évaluation de la dépression (échelle de dépression gériatrique, Yesavage et al., 1982) et de la fréquence de leurs ruminations (échelle de réponse ruminative, Nolen-Hoeksema et Morrow, 1991), les sujets ont participé à un protocole en deux phases. La première comprend trois séances d'accompagnement hebdomadaires. Chaque séance est dédiée au rappel d'un souvenir définissant le Soi positif, et à sa consignation dans un carnet dédié. Cette phase se conclut par une réévaluation des variables dépendantes. Pendant la seconde phase de 3 semaines, les participantes utilisent ce carnet en autonomie, avec pour consigne de lire un souvenir de leur carnet et de se laisser aller à sa réminiscence lorsqu'une phase ruminative apparait. Cette phase s'achève par une dernière passation des échelles de dépression gériatrique et de réponse ruminative. Les résultats montrent que ce protocole s'accompagne d'une diminution significative des ruminations quelle que soit la sévérité du trouble. En revanche, si l'amélioration de l'état dépressif est significative et constante pour les femmes âgées modérément déprimées, elle stagne après la phase d'accompagnement pour le groupe sévèrement déprimé. Deux hypothèses sont avancées : la nécessité d'un accompagnement par le thérapeute pour permettre un recul significatif de l'état dépressif, ou encore l'existence d'un plafond au-delà duquel la baisse des ruminations n’entraîne plus d'amélioration de la dépression. Ce protocole permettrait donc, pour les participantes modérément déprimées, de rendre disponibles des souvenirs positifs, mimant ainsi la stratégie de régulation émotionnelle saine. D'autres recherches permettront d'adapter ce protocole à la dépression sévère et de le valider à plus grande échelle.